Christophe Fiat – Laurent Sauvage n’est pas une Walkyrie

Faire du théâtre en se gardant bien d’en avoir l’air… cela peut être magnifique. Ou horripilant quand les poses sont trop appuyées (Marthaler, on t’a vu ! + Philippe Quesne, pas toi !).

La scène contemporaine – comme l’art contemporain en général – vénère évidemment tout ce qui peut relever de l’accidenté, du heurt, du fragile « parce que ça aussi c’est la vie ». Pas grave si, au passage, on surligne les effets au gros stabilo qui bave, tant que le spectateur a bien compris qu’il était émancipé, qu’il n’était pas enfermé dans le carcan coercitif de la « mise en scène », et que, surtout, on n’avait pas pensé à sa place. Ne surtout rien imposer au spectateur, donc… le Paperlappap de Marthaler a bien retenu la leçon, ce qui lui a permis de se faufiler tranquilou dans la file des pièces déceptives « insolentes et radicales » et de faire passer pour poétique la vacuité la plus abyssale.

Christophe Fiat n’apprécierait sans doute pas être pris en contre-exemple de Marthaler. Qu’il me pardonne, c’est pour tenter d’en dire du bien. Leurs projets ne sont, après tout, pas si étrangers : les deux entrent dans le théâtre par la musicalité et se dégagent de la forme traditionnelle de la mise en scène. C’est à mon sens leur seule accointance, pour ce qui est de Laurent Sauvage n’est pas une Walkyrie en tout cas, pièce pour laquelle Christophe Fiat a eu la lumineuse idée de convoquer sur scène l’excellent comédien Laurent Sauvage.

Chevelure émancipée, tout de cuir botté et en débit de voix musclé, il endosse la mythologie liée au rockeur si chère à Christophe Fiat – une figure qui revient en gimmick sur sa scène via l’indice de la guitare électrique – mais ici testostéroné à bloc. Loin d’une coquetterie branchouille, l’intérêt tient déjà dans le dispositif en lui-même : le rockeur se présente de face, dans une frontalité radicale au public, et celui de Christophe Fiat n’en bougera pas pendant la demi-heure où, accroché à son micro et ses câbles électriques, il se connecte à l’histoire de Cosima Wagner, seconde épouse du compositeur et fille de Liszt. Dans cette narration linéaire, pas de fragmentations, pas de scories conversationnelles ou de polyphonie ostensible, pas d’adresse au public pour rompre le déroulé du fil. Laurent Sauvage n’est pas une Walkyrie impose un cadre de parole austère et contraignant, dans lequel les intonations et la voix du narrateur – conteur sont détournées avec brio : l’énoncé, l’histoire de la maîtresse de Wagner rencontre une forme vocale qui n’est, a priori, pas faite pour elle : la scène musicale rock, avec ici accentuations gommées, débit ininterrompu et cette pointe de désinvolture amusante qui l’aurait tout aussi bien fait parler de sa dernière cuite.

De cette rencontre (on pourrait dire de ce manque d’adéquation) entre l’énoncé, et la forme vocale choisie, il résulte une proposition dramatique qui m’a semblé enthousiasmante. C’est que, au final, le comédien semble débiter son texte selon le cahier des charges d’un journaliste radio ou d’un commentateur sportif (dans une sorte d’urgence qui finit par frôler la performance musicale). L’énoncé prend donc l’apparence d’un texte à visée informative (la biographie d’un personnage historique), mais un fait brut étant toujours suspect, le pacte d’objectivité est vite rompu. Discrètement, la voix du narrateur s’immisce pour placer le texte en équilibre entre histoire et poésie. C’est beau, drôle et étrange.

À quel régime appartient la parole ? Le texte informe t-il, commente t-il ou chante t-il ? Est-ce une façon de divaguer sur la fabrique de l’histoire ? Ici commence la liberté du spectateur. Pour ce qui est celle du comédien, elle dépend d’une forme corsetée. Et parfois, loin des pièces formatées qui font mine de se chercher, on respire.

Eve Beauvallet

Laurent Sauvage n’est pas une Walkyrie, de Christophe Fiat sera donné au Théâtre de Gennevilliers du 3 au 19 mars 2011

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